Le bruissement du papier et des désirs, de Sarah McCoy

Sarah McCoy, Le bruissement du papier et des désirs, éd. Michel Lafon, février 2019

(Titre VO : Marilla of Green Gables)

Marilla grandit avec son frère et ses parents sur l’île du Prince-Édouard, mais les aléas de la vie vont bouleverser son existence et la faire mûrir plus vite qu’elle ne l’aurait voulu… à l’heure où le Canada est le refuge de nombreux esclaves en fuite, venus des États américains du Sud, à l’orée de la guerre de Sécession.

En bref : En 1837, la jeune Marilla Cuthbert vit une existence paisible aux côtés de son grand frère Matthew et de leurs parents sur l’île du Prince-Édouard, au large des côtes du Canada, dans une ferme isolée qui deviendra les « Pignons Verts ».

Enceinte de son troisième enfant, Clara Cuthbert meurt en couches. Marilla lui promet de toujours veiller sur son père et son frère. Dès lors, elle sacrifie sa propre aspiration au bonheur et à l’amour pour le bien des siens.

« Jour après jour. mois après mois. Il fallait rester occupée du matin au soir, sans une minute de répit. Elle sentait que si elle s’arrêtait pour souffler, le chagrin la submergerait. Parfois, elle devait fermer les yeux et se souvenir de respirer : inspire, expire, encore une fois, inspire, expire. Sinon, le poids dans sa poitrine la clouerait sur place jusqu’à ce que sa tête bourdonne de douleur et que tout son corps la torture. Se lever le matin lui demandait une volonté incroyable. Sa seule consolation lui venait de ses Pignons Verts. » (p. 166)

 

« L’histoire comptait bien plus de personnages heureux et jamais mariés. Pour quelles raisons devait-on devenir le mari ou la femme de quelqu’un ? Ne pouvait-on pas simplement être soi-même ? Et surtout, il existait, dans ce monde, des problèmes beaucoup plus graves et urgents que les colombes, l’amour et les cloches. » (p. 294)

Quand elle découvre, au gré d’une association caritative, que de nombreux esclaves noirs sont exfiltrés des États américains du Sud, par le biais d’un « chemin de fer », jusqu’au Canada pour retrouver la liberté, elle trouve un nouvel élan dans son quotidien assez monotone.

« Il existe très peu de refuges entre les États américains du Sud et notre porte. Ils arrivent à moitié affamés, blessés, malades et terrifiés par leur voyage. Nous faisons ce qui est entre notre pouvoir… tout ce qui est entre notre pouvoir. Malheureusement, avec si peu d’abris, il est impossible pour tous de trouver refuge. Nos dortoirs sont bondés. Il devient de plus en plus difficile de les protéger des chasseurs d’esclaves qui souhaitent les renvoyer à leur condition d’avant. Malgré les lois canadiennes, beaucoup de nos dirigeants sympathisent avec les trafiquants d’esclaves fortunés. Pour eux, ces orphelins sont des valeurs marchandes, pas des être humains. » (p. 254)

À l’image de sa tante Izzy, tirant un trait sur ce que la société attend d’elle, qu’elle se marie, fonde une famille et soit une parfaite épouse, elle décide – tout en respectant sa promesse faite à sa défunte mère – de mettre son existence au service des plus démunis, et de contribuer à sa façon, au salut de tous ces esclaves.

« Je voyais plus grand, pas juste couper du bois pour l’hiver, cueillir des pois l’été et servir d’épouse soumise à un mari et son foyer. Nous n’avons qu’une seule vie, Marilla. » (p. 51)

 

Instagram @missmymoo

 

Mon avis : C’est en découvrant le titre de ce roman en version originale, Marilla of Green Gables, que j’ai découvert que ce roman était en fait un prequel au célèbre classique de la littérature jeunesse canadienne du début du XXe sièlce : Anne of Green Gables (Anne… la maison aux pignons verts) de Lucy Maud Montgomery.

Mais revenons au roman de Sarah McCoy : avec Le bruissement du papier et des désirs, l’auteure imagine ce à quoi aurait pu ressembler la jeunesse de Marilla.

Cet ouvrage est ce que je qualifierais de roman d’ambiance, dans le sens où l’on suit l’évolution de Marilla Cuthbert depuis l’âge de 13 ans jusqu’à l’âge adulte, on la voit tomber amoureuse mais aussi perdre sa mère. L’épreuve du deuil est particulièrement marquante dans ce roman, et on ne peut qu’être ému(e) par les conséquences d’une telle perte sur la seule fille de la maisonnée, qui perd ainsi sa mère si jeune.

« […] Marilla s’était mise à lire toutes les coupures de presse que Matthew rapportait, tous les bulletins politiques sur les murs du bureau de poste, tous les livres qui traînaient dans les Pignons. Son esprit était assoiffé de mots. Ils empêchaient ses pensées de se disperser et son coeur de se noyer dans le puits sombre de sa tristesse. » (p. 173)

Il lui faut bien vite assumer les responsabilités d’un foyer aux côtés de son père et de son grand frère, mais également décider de s’engager pour une grande cause : la lutte contre l’esclavage.

« L’idée qu’on asservisse quelqu’un à cause de la couleur de sa peau semblait ridicule, risible même, si elle n’était pas aussi monstrueuse. Pourtant, des gens tuaient et mouraient pour cela. Le rouge coulait de tous les corps. » (p.308)

J’ai toutefois trouvé que, contrairement à ce que nous promet la quatrième de couverture de ce roman, ce militantisme était plutôt laissé de côté au profit de l’histoire personnelle de Marilla.

Sarah McCoy nous permet malgré tout d’en savoir plus sur le contexte socio-politique au Canada au milieu du XIXe siècle, et l’influence que la guerre de Sécession qui se profile dans les États américains a pu avoir dans la lutte entre les partisans de la Couronne d’Angleterre et les indépendantistes canadiens.

« La paix dépendait de la suppression des divisions raciales. Le peuple devait sentir qu’il formait un tout, quelles que soient la langue, la religion, la croyance ou la couleur. Proclamer une seule nation canadienne, bénie par la Couronne, permettrait une représentation égale au parlement, le regroupement du crédit et l’application uniforme de la loi à travers le pays. » (p.260)

Il nous est également décrit la position adoptée par le Canada vis-à-vis de l’esclavage et de tous les Noirs fuyant l’Amérique pour trouver refuge plus au Nord.

« Certains Canadiens toléraient ou, même pire, soutenaient les propriétaires d’esclaves. À cause d’eux, des chasseurs de primes ratissaient les provinces pour ramener qui bon leur semblait aux États-Unis. » (p. 127)

J’ai beaucoup apprécié le fait que Sarah McCoy parvienne, avec Le bruissement du papier et des désirs, à faire le lien avec un de ses précédents romans : Un parfum d’encre et de liberté, qui traitait de familles américaines des États du Nord qui s’engageaient pour contribuer à l’exfiltration des esclaves venus du Sud, jusqu’au Canada, via ce fameux « chemin de fer ».

Le chemin de fer clandestin emprunté par les esclaves pour fuir leurs oppresseurs jusqu’au Canada est d’ailleurs le thème principal d’un autre roman que j’ai très envie de lire depuis bien longtemps : Underground Railroad de Colson Whitehead.

J’ai donc pris beaucoup de plaisir à me laisser emporter dans ce nouveau roman de Sarah McCoy. Le bruissement du papier et des désirs (je vous avoue ne pas bien comprendre la logique du titre par rapport à l’histoire, mais c’est un détail) m’aura beaucoup touchée. Mon coeur aura été brisé à de nombreuses reprises par ce destin de femme insoumise, à qui la vie ne fait aucun cadeau, mais qui parvient, avec force, détermination et surtout une grande résilience, à rester debout pour ceux qu’elle aime et pour les convictions qui l’animent.

Je ne peux que vous conseiller de lire ce roman, avant ou après Anne… la maison aux Pignons Verts, cela n’a guère d’importance.

Ce premier volume d’une série de romans a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs adaptations audiovisuelles, dont la dernière en date : Anne with an E diffusée par Netflix.

Ma note :

Merci aux éditions Michel Lafon pour m’avoir permis de lire ce livre.

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