Moon Brothers, de Sarah Crossan

Sarah Crossan, Moon Brothers, éd. Rageot, à paraître le 11 septembre 2019

(Titre VO : Moonrise)

Ed est arrêté au Texas et inculpé pour le meurtre d’un officier de police. Il est condamné à la peine de mort et attend la date fatidique.
Son petit frère Joe, 17 ans, qui ne l’a pas vu depuis une dizaine d’années, décide de tout plaquer pour le retrouver avant qu’il ne soit trop tard.

 

En bref :

Joe a grandi au sein d’une famille dysfonctionnelle. N’ayant jamais connu son père, sa mère n’étant pas plus concernée par le sort de ses enfants… c’est finalement sa tante Karen qui applique un semblant d’autorité sur Joe, son grand frère Ed et leur soeur.

Ed est plus qu’un grand frère pour Joe. C’est la figure paternelle qu’il lui manque. De près de 10 ans son aîné, il incarne une sorte de guide pour le jeune garçon.

Jusqu’au jour où Ed, venant juste d’obtenir son permis de conduire, « emprunte » la voiture de sa tante Karen… pour ne plus jamais revenir, lui non plus.

« Tout le monde est parti

Je n’ai jamais eu                  de père
mais j’ai eu                            un grand frère
et puis                                    il est parti
et puis                                    ma mère aussi
et longtemps                         je me suis demandé
quand est-ce que je             perdrais
                                               aussi
ma soeur,
              ma tante,
jusqu’à ce que tous les gens que j’aime
                                        aient disparu
et que je me retrouve
                                                                  seul. »
(p. 111)

Mais un soir, un coup de téléphone résonne dans l’appartement. C’est Ed, qui appelle depuis un poste de police du Texas. Il est en état d’arrestation pour le meurtre présumé d’un officier de police. Ed ne cesse de clamer son innocence, mais sa tante décide de couper les ponts.

Ed est condamné à la peine de mort. Joe, trop jeune pour réagir, n’a d’autre choix de que d’apprendre à vivre sans son frère désormais.

Jusqu’au jour où Joe, 17 ans, apprend qu’une date a été fixée pour l’exécution de se frère.

Il rassemble le peu de ressources qu’il trouve, et se rend au Texas pour retrouver Ed, avant qu’il ne soit trop tard.

 

Instagram @missmymoo

 

Mon avis :

Moon Brothers était le deuxième roman de Sarah Crossan que je lisais après Inséparables, qui avait été pour moi une lecture bouleversante.

Les romans de Sarah Crossan sont écrits en vers libres : ce sont une succession de poèmes, sans rimes, qui forment une histoire à la manière d’un roman.

C’est un format qui pourrait rebuter certains, et avant de lire Inséparables, je ne savais pas trop si j’allais adhérer à ce style. Le début peut être un peu déstabilisant si vous n’avez pas l’habitude, mais vous vous y faites très rapidement.

Je trouve, bien au contraire, que l’écriture en vers libres apporte plus de force à l’histoire.

La narration est dénuée de toutes longueurs.

Le choix des mots employés est réfléchi, chacun a son importance, et cela leur donne encore plus de poids.

Les vers s’enchaînent et, même sans rimes, apportent un rythme, un cadence, tantôt rapide, tantôt plus lente, aux événements et aux pensées du personnage.

Quant au sujet abordé, il est explosif : Moon Brothers n’est ni plus ni moins qu’une dénonciation sans détours des dysfonctionnements et inégalités du système judiciaire américain et de la peine de mort encore pratiquée dans certains États.

« Responsable

Ed a été jugé comme un adulte,
enfermé, condamné
à être exécuté
trois ans avant
qu’il soit légalement,
assez grand,
pour se payer une bière
au bar du coin »
(p. 202)

J’avais déjà lu Arrêtez-moi là de Iain Levison qui traitait du même sujet, et une nouvelle fois, j’ai été horriblement remuée par la façon dont une personne peut se retrouver du jour au lendemain happée par un engrenage judiciaire infernal.

« Al a expliqué à Angela
que la plupart des gars ne peuvent pas se payer
un avocat.
Ils passent
les trois quarts de leur temps
à implorer qu’on leur en trouve un,
ou à étudier le droit eux-même. » (p. 79-80)

Les inégalités sont également flagrantes : c’est une justice à deux vitesses qui est encore pratiquée. Que vous soyez riche ou pauvre influe grandement sur la façon dont vous serez défendu et jugé. De même, un même crime ne sera pas puni de la même manière dans des États différents : certains ayant aboli la peine capitale, d’autres ayant encore recours à cette pratique.

« Aléatoire

Ils ont coffré Ed pour le meurtre d’un flic,
un crime bien moche,
mais tous les criminels ne finissent pas sur la chaise
      électrique.
Y a des mecs qui écopent de quinze ans.
              D’autres, de la perpétuité.

Ed, c’est la mort.
Mais c’est pas pour tout le monde pareil.

Ça dépend en fait
de qui
tu tues,
et d’où
t’étais
quand tu l’as tué.

Genre, par exemple,
tire pas sur un flic blanc à Walker Country, au Texas.
Si c’est ton truc, fais-le plutôt à Arlington, New York.
Là-bas, pas d’électrocution, pas d’injection.

Je trouve pas ça super juste, perso.

Je trouve que c’est un peu comme jouer
à la putain de loterie. »
(p. 118)

Sarah Crossan nous explique à la fin de l’ouvrage qu’elle a elle-même été marquée par un documentaire sur le sujet, et qui lui a inspiré Moon Brothers. Je pense que je tenterai de le trouver pour le voir, car même si le sujet est dramatique, il est aussi très important d’en savoir plus et de propager l’information.

« On clôt pas un dossier quand c’est un flic qui se fait flinguer.
Les gens, pour eux ça compte vachement,
les policiers blancs, ça m’étonne juste qu’ils aient pas essayé
de trouver un Noir à accuser.
Y’a plein de Noirs dans le couloir, ils me disent pareil,
c’était un piège, et moi je les crois,
quand je regarde la télé et je vois ces flics qui tirent
sur des mecs juste parce qu’ils se baladent
dans une ruelle obscure, un truc du genre. » (p. 195)

Je ne vais pas vous mentir, tout comme ce fut le cas pour Inséparables, j’ai fini ma lecture de Moon Brothers dans une sorte de léthargie post-lecture-de-ce-livre-tellement-magnifique-quil-vous-a-brisé-le-coeur-et-que-vous-avez-besoin-de-temps-pour-vous-remettre.

« je vais me perdre dans la chaleur
de l’après-midi, et je déteste
jusqu’à la moelle
ce pays dont on dit
dans l’hymne national
qu’il est Land of the Free,
Home of the Brave.
le pays des gens libres, la patrie
des courageux.
C’est ça, oui. » (p. 307)

Lisez ce livre. Absolument.

Il est la preuve, si tant est qu’on en avait encore besoin, que la littérature young adult aborde également des sujets ô combien durs et importants, et qu’elle n’a rien à envier à la littérature adulte, bien au contraire.

Ma note :

 

(2) Comments

  1. Ce bouquin est une pépite !
    L’ écriture poétique sensible de Sarah Crossan est sublimée par la traduction en vers libres de Clémentine Beauvais ! Je ne peux que recommander!

  2. […] 11h Un jour un livre 31 Moon Brothers, de Sarah Crossan […]

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