Signé Poète X, d’Elizabeth Acevedo

Elizabeth Acevedo, Signé Poète X, éd. Nathan, août 2019

(Titre VO : Poet X)

Un manifeste pour toutes les adolescentes et jeunes filles qui entrent dans la vie d’adulte et doivent apprendre à se libérer des carcans qu’on leur impose, s’affirmer et se faire respecter en tant que femme libre.

 

En bref :

Xiomara a 16 ans. Née de parents immigrés de République Dominicaine, elle grandit dans la banlieue de New York et la petite fille devient peu à peu une jeune femme.

La mère de Xiomara souhaite que sa fille porte la religion dans son coeur à son image, et vive selon les préceptes de la Bible. Elle l’oblige à assister à tous les services, à suivre des cours et à préparer sa confirmation. Xiomara ne veut plus en entendre parler. Mais cela, sa mère n’est pas prête à l’admettre.

Au lycée, elle doit également apprendre à assumer son corps et à soutenir le regard des hommes qui la déshabillent.

Alors Xiomara lutte, et plutôt que d’user de ses poings, c’est avec des mots qu’elle lance des uppercuts : dans ses carnets, puis sur scène, c’est la poésie, puis le slam, qui l’aident à s’affirmer, et lui donnent le courage de prendre le contrôle de son existence.

Après

Ça m’arrive à la bodega.
Ça m’arrive au lycée.
Ça m’arrive dans un wagon de train.
Ça m’arrive sur le quai.
Ça m’arrive dans les escaliers.
Ça m’arrive en marchant.
Ça m’arrive quand je fais pas gaffe.
Ça m’arrive tout le temps.

Je sais, je devrais être habituée.
Ça devrait pas m’énerver,
quand les garçons, et même parfois
des hommes – putain, des mecs adultes ! –
me disent des trucs,
me touchent comme ça,
se frottent à moi,
se caressent en me regardant, me font
certaines propositions.
Mais je m’habitue pas.
Mains qui frémissent.
Gorge qui se contracte.
La seule chose qui m’apaise
c’est d’être enfin chez moi
avec Jumeau après tout ça
et de brancher mes écouteurs,
et de mettre Drake à fond.

Ce qui
m’apaise
c’est mon carnet,
écrire écrire écrire,
tout ce que j’aurais voulu dire,
transformer en lames de poèmes
toutes mes pensées coupantes,
les imaginer trancher net
mon corps pour
que j’en
sorte.

Ça m’arrive quand je suis en short
et quand je suis en jean.
Ça m’arrive quand je regarde tout droit
et quand je courbe l’échine.
Ça m’arrive assise sur un banc
et puis en train de marcher.
Ça ne s’arrête tout simplement
jamais.
(p. 59-60)

 

Instagram @missmymoo

 

Mon avis :

J’avais entendu parler de Signé Poète X quand il était sorti aux États-Unis l’an dernier (sous le titre Poet X), mais je ne m’y étais pas intéressée plus que ça (grave erreur !). J’ai par contre été intriguée de le recevoir de la part des éditions Nathan en amont de leur rentrée littéraire de septembre 2019.

Travaillant depuis quelques mois en librairie, j’ai donc plongé dans ce roman écrit en vers libres (et oui, encore un, il faut croire que je les ai enchaînés ces derniers temps !) et quelle claque il m’a donné !

Signé Poète X est un manifeste (féministe) pour la tolérance, le respect d’autrui et l’estime de soi.

Les mots couchés sur le papier sont des paroles de slam. Ils rythment la lecture et donnent de la force et encore plus de sens au message de l’auteure.

Elizabeth Acevedo combine des problématiques qui ont également été les siennes : le poids des traditions et de la religion, l’intégration en tant qu’enfant d’immigrés, mais aussi l’affirmation de soi quand on est une jeune femme, dans une société encore aujourd’hui parsemée de dérives sexistes et sexuelles.

Comme vous avez pu le lire dans l’extrait précédent, les poèmes de Xiomara (et par extension, d’Elizabeth Acevedo) résonnent encore plus fort dans le contexte de l’après mouvement #MeToo où la parole des femmes se libère, où les agressions sexuelles/sexistes (verbales ou physiques) ne sont probablement pas plus nombreuses, mais où les témoignages sont plus décomplexés.

De même, et c’est beaucoup moins courant de la part d’auteurs anglo-saxons, l’héroïne se dresse contre l’un des piliers fondamentaux de la culture américaine : la religion.

Après bon nombre de questionnements, Xiomara ne se reconnaît tout simplement pas dans ses valeurs, et cherche le courage d’affronter sa mère afin de lui faire entendre raison : sa foi ne sera tout simplement pas la sienne, et la force n’y changera rien.

La messe

[…]
Quand on me dit les filles
Ne devraient pas. Ne peuvent pas.
Ni ça, ni ça, ni ça.
Quand on me dit il faut
Cesser. Patienter. Obéir.

[…]
Quand la seule fille que j’aie le droit d’être
c’est une vierge engrossée,
sans doute morte de peur.
Quand on me dit que cette vie
n’est que feu et fureur*.

Quand je regarde auteur de moi
et que personne parmi les pierres,
disciples ou anges, Marie, Jésus,
ne me ressemble : noire et charnue
et en colère.

Quand on me dit d’avoir la foi
de croire au père           au fils
aux hommes                  alors que les hommes sont les premiers

à me faire sentir tellement petite.
C’est là que je me dis que je suis hypocrite.
Parce que je hoche la tête, je tape des mains,
j’ânonne Amen, Alléluia,
je fais mes prières,
tout en pensant cette maison-là cette maison-là
je ne veux plus en être la locataire.
(p. 65-67)

* Cf. Fire and Fury (en anglais) : une expression empruntée à Donald Trump. Il faut très probablement y voir une dénonciation de ses déclarations sexistes, sa position ouvertement anti-IVG et ses relations très étroites avec un pan de l’Église américaine ultra-rigoriste.

 

Le pouvoir des mots.

C’est une réalité que nous tous, lecteurs amoureux, connaissons. Nous savons les bienfaits que la lecture et l’écriture peuvent avoir : ils calment nos peurs, apaisent nos rages, recueillent nos confidences, nous permettent de faire le point sur nous-même et sur ce qui nous entoure, et de mieux comprendre et affronter la réalité.

« Parfois, c’est comme si écrire, c’était le seul moyen de pas souffrir. » (p.47)

Signé Poète X est l’incarnation de ce que nous ressentons envers les livres et la littérature, qu’elle soit écrite ou déclamée en public.

Je pense que ce roman devrait être offert à toutes les adolescentes sur le point de devenir de jeunes femmes, afin de leur montrer que leurs interrogations sont justifiées, mais également leur donner la force et le courage de se tenir droite, quelle que soit la situation à laquelle elles seront confrontée un jour.

Ma note :

 

Merci aux éditions Nathan pour m’avoir permis de découvrir ce roman.

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