Rencontre avec Ruta Sepetys (Big Easy)

Lundi soir, j’étais conviée à la rencontre avec Ruta Sepetys, exceptionnellement de passage en France pour la promotion de son dernier ouvrage Big Easy, paru chez Gallimard Jeunesse (Scripto). 

Elle nous a donc longuement parlé de ses inspirations pour ses deux romans, Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre et Big Easy, ses longs travaux de recherche et de documentation pour chacune de ces fictions historiques. Elle nous a également confié quelques petites indiscrétions concernant son prochain ouvrage…
Retour sur une soirée mémorable.

Ruta Sepetys se fit remarquer dans l’univers jeune-adulte en 2011 avec son premier roman Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre (Between Shades of Grey). Profondément inspiré par les origines de son père, réfugié lituanien de la répression soviétique, on apprend que la grande majorité de cet ouvrage est basée sur des histoires vraies. Les noms des personnes interviewées lors de son travail de documentation ont toutefois été modifiés tant la cicatrice de la dictature soviétique est encore présente dans l’esprit de cette population.
Afin de témoigner de leur quotidien, les personnes écrivaient des histoires, effectuaient des dessins et les plaçaient dans des sortes de capsules temporelles, qui furent redécouvertes des dizaines d’années plus tard. C’est en partie le contenu de ces capsules qui a alimenté le livre.
Après l’invasion soviétique, les gens n’étaient plus autorisés à parler leur propre langue. C’est la raison pour laquelle de nombreux lituaniens sont aujourd’hui devenus des artistes. Leur mode d’expression se mua en art.
Certaines éditions internationales de Between Shades of Grey, comme l’édition brésilienne, souhaitaient inclure des représentations des dessins dont il était question dans le roman. Selon l’avis du père de Ruta, lui-même artiste, cela était une très mauvaise idée. Ce fait se confirma car chacun avait une interprétation très personnelle des dessins du personnage. Les représenter aurait supprimé cette part d’imaginaire que chaque lecture permet de se forger.
Une collaboration avec le musicien Gavin Mikhail a donné lieu à la création d’une magnifique bande-son jouée au piano, illustrant l’univers de Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre au fil de la lecture.
Elle est dès à présent disponible sur iTunes et Amazon. Je vous invite à la découvrir, elle est très émouvante.
Le second roman de Ruta Sepetys, Big Easy (Out of the Easy) est paru en octobre 2013. Cette nouvelle fiction historique nous plonge dans la Nouvelle-Orléans des années 50.
Le travail de traduction de cet ouvrage fut particulièrement fastidieux dans la mesure où il devait non seulement retranscrire des phrases d’une langue à l’autre, mais également des expressions et une ambiance, une sonorité particulière au Sud des Etats-Unis. C’est sans doute pour cette raison que la traduction VF est plus volumineuse que le livre en VO.
La question de l’évocation de la ségrégation des Noirs est également bien sûr abordée, mais on peut toutefois remarquer qu’elle est plus flagrante en VO qu’en VF.
Durant ses tournées promotionnelles, Ruta Sepetys a également remarqué que la signification, tout du moins l’interprétation du sens profond donné au roman pouvait varier d’un pays à un autre. Certains voient dans Out of the Easy une histoire de librairie (Italie), d’autres une illustration de la quête d’ascension sociale…
Fait étonnant, Ruta a constaté, toujours lors de ses nombreuses interviews préparatoires à son roman, que les nouveaux émigrés aux Etats-Unis durant cette période (les années 50) conservaient de très nombreux secrets, et que la vie n’était pas si idyllique qu’elle peut nous l’être dépeinte aujourd’hui dans les séries TV ou films sur cette décennie. Tout dépend évidemment de la condition sociale à laquelle vous apparteniez. C’est le cas de Josie Moraine dans le roman. Elle n’est pas gâtée par la vie mais tente de se hisser vers une situation plus descente.
A la manière de Dickens, auquel il est fait fortement référence tout au long du roman, Ruta Sepetys souhaitait mettre des enfants dans des situations d’adultes, difficiles et confrontés à des problèmes qu’ils ne devraient normalement pas connaître à leur âge.
De même, elle souhaitait opposer, à la façon de La Belle et la Bête de Cocteau, le beau/bon au laid/mauvais, comme c’est le cas pour Cokie/Cincinnati par exemple.
Quelques anecdotes sur le livre et ses personnages :
Les noms des protagonistes de Big Easy sont parfois issus de personnages bien réels.
  • Charlotte, la jeune étudiante de bonne famille si gentille avec Josie, est inspiré du prénom de l’assistante éditoriale française qui fit découvrir le précédent roman de Ruta à l’éditrice de Gallimard.
  • Willie, la tenancière de la maison close : ce nom était gravé sur une paire de lunettes dont Ruta fit l’acquisition. Elle découvrit ensuite que Willie était le nom d’une femme, tenancière de bordel du Quartier Français de la Nouvelle-Orléans.
  • Woodley : le nom de famille de Willie est tiré d’un nom de famille du côté du mari de Ruta.
  • Evangeline : l’une des prostituées de Willie, aux tendances kleptomanes, est inspiré du nom d’une tante de son mari.
L’histoire de Forest Hearne, l’homme assez charismatique poussant la porte de la librairie de Josie, un touriste qui se fait ensuite assassiner dans un bar, est également inspiré de faits réels. Le nom du défunt fut toutefois modifié. Un fait assez étrange fut qu’après avoir achevé d’écrire Out of the Easy, Ruta Sepetys ressentit le besoin d’aller se recueillir sur la tombe de l’homme ayant inspiré l’histoire de ce meurtre. En se retournant, elle découvrit gravé sur la tombe derrière elle, le nom Hearne. Quelles étaient les probabilités pour que le nom d’emprunt qu’elle avait choisi pour ce défunt fut le nom de son « voisin de cimetière » ?
Le prochain roman de Ruta Sepetys traitera de la défaite des Nazis et leur tentative désespérée de fuir l’invasion soviétique à l’Est, par la mer, lors de « l’opération Hannibal ». Cet épisode de l’Histoire fut très longtemps gardé secret par les deux camps, ce qui rend la documentation plus ardue encore.
Les Allemands mirent à flot tout ce qui pouvait bien flotter, dont un navire de croisière pouvant héberger 1 500 personnes, mais qui fut rempli par 10 000 Nazis et réfugiés fuyant les exactions des Russes.
Ne disposant pas de place pour tout le monde, chaque famille dû choisir un enfant parmi les leurs, le plus âgé des adolescents eut la possibilité d’embarquer.
Le navire devait, pour ne pas être repérer, naviguer en pleine nuit, dans le grand large et les eaux glacées. Il fut malheureusement torpillé par les Soviétiques et 9 000 personnes trouvèrent la mort. Les Nazis couvrirent l’histoire afin que personne n’apprenne la tragédie.
Lors de leur départ, de très nombreuses œuvres d’art spoliées durant la guerre furent embarquées à bord, et sombrèrent au large de la Pologne.
Une belle histoire en perspective, qui nous met déjà l’eau à la bouche !…

Merci aux éditions Gallimard pour avoir organisé cette fantastique rencontre, une belle soirée qui restera dans ma mémoire. Merci également à Ruta Sepetys pour sa passion pour l’Histoire, son enthousiasme son naturel et sa proximité avec ses lecteurs. Une auteure et une femme formidable.

(6) Comments

  1. J’aurai aimé pouvoir assister à cette rencontre, avec ton compte rendu c’est un peu comme si j’y étais :). Ce nouveau roman m’a l’air très très bien. J’ai hâte de pouvoir le lire. J’aime beaucoup les histoires de cette auteure, elles sont belles, tristes, et profondes.

    1. J’espère que tu passeras un bon moment de lecture 😉

  2. Très bel article qui résume très bien cette belle soirée !!

    1. Merci ! Oui en effet, c’était une très belle soirée 😉

  3. Très jolie article ! 🙂 Bravo 😀
    Pourquoi je n’habite pas vers Paris… ^^

    1. Merci Mathieu ! Ahh oui c’est vrai c’est dommage… On est conscient que sur Paris, on est super privilégiés… Mais heureusement il y a Montreuil qui approche 🙂

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