Claire Huynen, Néfertiti en bikini

Néfertiti en bikiniClaire Huynen, Néfertiti en bikini, éd. Le Cherche Midi, 7 mai 2015

Une jeune femme du Nord-Est de la France se voit offrir une croisière sur le Nil avec sa mère. Si sa passion pour l’Egypte remonte à l’enfance, Jo n’a pas pour habitude de voyager. Elle attend donc beaucoup de ce périple, mais ses aventures égyptiennes seront bien éloignées de ce qu’elle espérait.

En bref : Jo n’est pas souvent sortie de sa région du Nord-Est de la France. Elle est ce que l’on appelle une casanière. Elle préfère fantasmer la réalité, rêver d’un ailleurs idyllique, plutôt que de partir à sa rencontre. Pour l’anniversaire de sa mère, cette dernière décide, en guise de cadeau à elle-même, de s’offrir une croisière sur le Nil en compagnie de sa fille. En effet, ce fut une visite au Louvre avec sa tante lors d’un court séjour à Paris, qui déclencha la passion de Jo pour l’Egypte et sa civilisation millénaire.

« Le lendemain de son arrivée, tante Emma emmena Jo au Louvre. Département des antiquités égyptiennes.
Pour l’enfant, ce fut un choc, un bouleversement, une révolution. Elle aima immédiatement chaque objet, chaque peinture, chaque représentation. Les sculptures, des plus minuscules aux plus monumentales, éveillèrent une émotion qu’elle ne connaissait pas. » [p. 20]

Malheureusement, Jo n’est pas très proche de sa mère. Et la perspective d’être cloîtrée avec elle durant ce séjour ne l’enchante pas plus que cela. Elle décide malgré tout de faire bonne figure et de « prendre sur elle ». Car Jo n’aime pas non plus le concept de voyage organisé. L’idée de devoir supporter des touristes avides de dépaysement, de soleil bon marché et de folklore étranger l’insupporte. A dire vrai, beaucoup de choses rebutent la jeune femme… car Jo est une grande rêveuse. Toute sa vie, elle a fantasmé une Egypte millénaire, des aventuriers d’un autre temps, comme on en voit dans les films…

« Jo avait tant rêvé d’Egypte qu’elle en craignait la confrontation. Elle ne voulait pas abîmer ses images. Lorsqu’elle en concevait le voyage, elle le voulait parfait. En Agatha Christie ou en lady Duff Gordon, elle l’envisageait en bateau à vapeur ou en dahabieh. Une remontée du Nil lente et indolente. Ménager le temps du repos. S’arrêter. Le temps qu’il faut. N’entendre parler qu’arabe, traduit avec parcimonie par un drogman circonspect. Guidée par un vieil égyptologue savant. Seule au milieu des vestiges. Elle voulait percevoir la respiration des temples. Ecouter le silence. Flâner. Rêver. Sans odeur de transpiration, sans ricanement, sans flash d’appareil photo.
Sans casquette et sans short pour en ronger le paysage. » [p. 24]

A peine arrivée sur le bateau, la mère de Jo se fait une entorse. Verdict du médecin local : immobilisation forcée dans sa cabine ou rapatriement immédiat. Elle choisit la première option, car ne veut pas gâcher les vacances de Jo. Elle tient absolument à ce que sa fille profite de son voyage, et qu’elle visite les sites archéologiques qui la font rêver depuis son enfance, à la condition qu’elle lui raconte tout par la suite, vivant ainsi ce voyage par procuration.

Jo fait donc connaissance avec le groupe avec lequel elle va passer les prochains jours, ainsi qu’avec le guide local qui leur a été attribué. Malheureusement, rien ne semble satisfaire ses critères…

Mon avis : J’étais très impatiente de découvrir ce roman de Claire Huynen, auteur belge, dont le titre, Néfertiti en bikini, est plus qu’original. Je tire également mon chapeau aux graphistes pour l’excellent travail réalisé pour la couverture du livre, qui est tout simplement magnifique.

Tout au long des 146 pages de ce très court roman, Claire Huynen nous offre le récit très détaillé et criant de véracité de ce à quoi peut ressembler une croisière sur le Nil, organisée par une agence de voyage classique. Il faut reconnaître à l’auteur un grand travail de documentation (voire même d’immersion). Pour avoir moi-même effectué un voyage similaire (quelques jour au Caire en plus de la croisière), je revivais le déroulé de toutes ces situations assez cocasses, décrites dans l’ouvrage : l’arrivée à l’aéroport en Egypte, la prise en charge par un guide local soucieux d’être agréable aux touristes qu’il a en charge, même si cela tourne parfois à la familiarité extrême avec ces derniers… mais également les visites des sites chronométrées, le passage obligé par les « ateliers-vendeurs de souvenirs » désignés par le guide afin que ce dernier touche une petite commission sur les recettes de la journée.

Cela ne m’aurait pas gêné si l’auteur, par le biais de son personnage, ne semblait pas se complaire dans une critique intempestive de tous les aspects de son voyage. Car on l’a bien compris, Jo rêve d’une Egypte déserte, comme on la dépeint dans les films d’aventure : vide, sauvage, arpentée par des explorateurs expérimentés. Un mirage en somme.
La simple vue d’un touriste, caricaturé comme une personne vulgaire venue d’Europe pour chercher le soleil, prendre des photos, rire des étrangetés qu’il aperçoit, tentant de prendre la pose « façon couleur locale », la révulse.

« Ce voyage n’était pas le sien, cette Egypte de supermarché pas celle qu’elle voulait rencontrer. Et sa mère l’attendait dans la cabine, la patte en vrac. » [p. 50]

Cette description d’une Egypte « de foire » est malheureusement une réalité, et on a bien souvent envie de préciser à l’auteur que le tourisme est le principal élément de l’économie du pays, qui permet à des millions de familles de survivre dans une région où les inégalités sociales et culturelles sont criantes.
Ayant moi-même étudié pendant sept ans l’archéologie et l’égyptologie pour en sortir titulaire de trois diplômes dans le domaine, un certain passage m’a clairement dérangé par son incroyable condescendance :

« Guide-accompagnateur-animateur-nounou, c’est donc à ça que menaient quatre années d’études en archéologie. Jo fut soulagée que l’on n’ait pas pris sa passion au sérieux. » [p. 47]

Un grand moment d’auto-satisfaction de la part du personnage de Jo, pour n’avoir pas poursuivi ses rêves et ne pas être passée par tant d’années d’études difficiles et ultra-sélectives. Quel dommage que l’économie actuelle ne permette pas à tous les diplômés en archéologie de trouver un emploi à la hauteur de leur formation et du travail acharné auquel ils ont survécu haut la main. Se reconvertir en guide touristique, pour continuer malgré tout à partager sa passion avec ceux qui aiment un pays mais ne disposent pas des clés pour en comprendre la civilisation est une issue comme une autre, parfois la seule qui soit encore une option. Mais une analyse de la crise mondiale et du chômage n’est pas le sujet de cet article, on passera donc sur la finesse de ces réflexions qui, malheureusement, ne font que se multiplier au fil des pages. On vous aura prévenu.

Même si Jo a renoncé à étudier l’égyptologie, on constate qu’elle sait pourtant tout mieux que tout le monde.

« Elle n’apprenait décidément rien. Non seulement elle n’aurait pas le choix, mais elle ne visiterait que trois tombes, dont une seule sur la liste. Et pour éviter les errements du troupeau, Osman conserverait les billets qui permettaient d’accéder aux sépultures. Jo renonça à contester. Elle n’avait pas envie d’écouter à nouveau ses stupides commandements de prudence, rappels de ponctualité et remparts aux errements. » [p. 134]

Si celle-ci avait pris le temps « d’apprendre », elle saurait que les touristes ne visitent « que trois tombes » de la Vallée des Rois pour des raisons de conservation préventive, certaines n’étant pas en état de supporter l’humidité dégagée par des centaines de corps transpirants dans un espace mal ventilé. Même raison pour laquelle seule une seule des trois grandes pyramides du Caire n’est ouverte à la fois. Peut-être aurait-elle dû étudier l’égyptologie après tout, car avec son diplôme en poche et dans le cadre de ses recherches, elle aurait pu, enfin, visiter les trésors dont elle rêve tant, sans aucun touriste pour la déranger dans ses réflexions sur l’antique civilisation.
Quant aux consignes intempestives de sécurité et de non dispersion du groupe que tente de faire appliquer le guide, elles s’expliquent par un pays où l’état d’urgence militaire est toujours actif (encore plus ces derniers temps) et où les conséquences d’un accident retomberaient sur le responsable du groupe, à savoir le guide lui-même.

Au fil de ses mésaventures et désillusions, Jo parvient toutefois à trouver un unique moment d’extase, où elle peut enfin apprécier le paysage qui l’entoure sans que le monde extérieur ne vienne la contrarier. Délectons-nous de ces rares moments de paix intérieure.

« Alentour, le temps s’était figé. Jo retrouvait les fresques du Louvre. Les gestes larges des paysans en semailles. Les pêcheurs postés sur de minuscules esquifs jetant leurs filets à la fortune du Nil. Des ibis et des aigrettes plantés en guetteurs. Des maisons en torchis serrées les unes aux autres pour faire village. Des enfants nus qui plongeaient dans le fleuve en éclats de rire. Des mules harassées sous le poids de charrettes archaïques.
Jo était captivée par le paysage. » [p. 69]

Néfertiti en bikini est donc un roman agréable pour ceux qui souhaiteraient découvrir à quoi ressemble une croisière sur le Nil, pour les amoureux de l’Egypte qui désireraient s’évader quelques heures par procuration. L’écriture est poétique, une invitation au voyage. Et je vous le conseillerais pour ce point.

Toutefois, si vous connaissez déjà ce pays, l’ayant déjà visité et/ou ayant quelques notions de géopolitique locale (qui ont d’ailleurs bien changé depuis les dernières années), les attentes irréalisables et exaspérations constantes du personnage principal auront vite fait de vous faire perdre patience. Je n’aurais sur ce point qu’une seul conseil, si je pouvais m’adresser au personnage de Jo : si cette dernière souhaitait découvrir l’Egypte et en apprendre plus sur tous les aspects scientifiques de l’Antiquité, il était certain par avance qu’une croisière réservée dans une agence de voyage lambda n’aurait pas comblé ces attentes. Des organismes spécialisés sont là pour ça, pour ne citer que Clio ou Intermèdes. Moyennant une somme rondelette, les voyageurs peuvent profiter d’excursions vers des sites d’exceptions, sur un thème scientifique choisi, et accompagnés de chercheurs renommés qui les accompagneront et tiendront des conférences pointues tout au long de leur voyage.

Ma note :

Threestars1

Je remercie les éditions du Cherche Midi pour m’avoir permis de lire cet ouvrage.

(2) Comments

  1. Ton avis est tout de même un peu plus souple que le mien. Je ne répèterai donc pas ce que tu as déjà lu sur mon blog. Mais, en plus, je n’aime pas la couverture, rires 🙂

    1. Ah bizarrement la couverture était la seule chose à peu près réussie pour moi…. tous les goûts sont dans la nature hein 🙂

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