L’Été avant la guerre, de Helen Simonson

L'été avant la guerreHelen Simonson, L’Été avant la guerre, éd. Nil, 19 mai 2016

(Titre original : The Summer Before The War)

Beatrice Nash, une jeune femme de vingt-trois ans, débarque dans la petite ville de Rye, dans le Sussex anglais, à l’été 1914. Alors que la Première Guerre Mondiale menace d’éclater à tout moment, les habitants de la bonne société ne semblent pas se soucier de cette sombre menace qui plane sur la jeunesse de leur pays.

En bref : Beatrice Nash est orpheline. Son père, qu’elle a accompagné autour du monde lorsqu’il enseignait, s’est éteint, et la jeune fille tente d’échapper à la tutelle de sa tante. Elle accepte un poste d’enseignante dans une petite ville du Sussex où elle espère ainsi conserver son indépendance, à une époque où il ne fait pas bon être femme célibataire souhaitant s’assumer pleinement sans aucun désir de prendre un époux. Car même si les suffragettes se mobilisent pour éveiller les consciences sur les droits des femmes qu’elles peinent à acquérir, les mentalités sont encore bien loin d’évoluer, même en ce qui concerne les femmes elles-mêmes, et encore plus dans l’aristocratie anglaise qui campe sur ses positions envers et contre tout, voyant le progrès comme une hérésie et un potentiel danger pour leurs privilèges.

« « Le monde change, mademoiselle Nash, mais très lentement. J’espère que grâce au travail que j’accomplis et à celui que vous accomplirez, nous contribuerons à faire progresser l’intelligence et le mérite et aiderons notre pays à aller de l’avant.
– Dois-je supposer, madame, que vous soutenez la cause des femmes ? demanda Beatrice.
– Grands dieux non ! riposta Agatha. Ces scènes d’hystérie dans les rues sont affreusement dommageables. Ce n’est qu’à travers des activités aussi raisonnables que les conseils d’administration scolaire et les bonnes oeuvres, sous la conduite de nos gentlemen les plus respectés et les plus instruits, que nous prouverons notre valeur aux yeux de Dieu et de nos prochains. N’êtes vous pas de cet avis, mademoiselle Nash ? »
Beatrice n’était pas du tout sûre de l’approuver. Elle aurait bien voulu, pensait-elle, être autorisée à voter et à passer un diplôme à Oxford, l’université qu’avait fréquentée son père. Les gentlemen les plus instruits eux-mêmes ne semblaient guère pressés de remédier sans combat aux injustices faites aux femmes. » (p. 34)

« Si j’étais vous, je garderais mes aspirations littéraires pour moi. Il serait absolument désastreux qu’une jeune personne dans votre position se fasse une réputation de bohème. » (p. 36)

Car Beatrice voudrait marcher dans les pas de son défunt père. Publier ses mémoires et les préfacer elle-même. Lorsqu’elle apprend que l’un des plus grands écrivains de son temps réside dans la petite ville de Rye, elle nourrit l’espoir qu’il pourrait la guider dans son entreprise. Malheureusement pour elle, même les plus grands penseurs de l’époque font preuve de la plus grande étroitesse d’esprit en ce qui concerne les aptitudes de la gente féminine pour les activités intellectuelles, et M. Tillingham ne faisait pas exception à la règle.
Peu à peu, à force de les côtoyer, Beatrice apprend à mieux connaître toute cette petite population variée installée à Rye. Agatha Kent, dont le mari travaille pour la haute administration londonienne et est directement informé de l’avancée des troupes allemandes sur le continent, dirige d’une main de maître les activités communes de la ville. Ses neveux, Daniel, un jeune poète aux tendances homosexuelles habilement dissimulées, et Hugh, le brillant médecin dont les projets de carrière font la fierté de la famille, compensent chez elle et son mari l’absence d’enfant au sein de leur foyer.
C’est la vie en apparence bien tranquille mais qui foisonne de petits scandales à retardement que Beatrice découvre jour après jour.
Sans compter cette guerre, dont la menace plane au dessus de leurs têtes, mais que personne ne semble prendre vraiment au sérieux.

« […] Je connais un petit éditeur à Paris qui pourrait être intéressé.
– Les éditeurs parisiens risquent d’avoir des soucis plus pressants ces prochains mois, remarqua John. Si j’étais toi, je ne placerais pas trop d’espoir en eux.
– Oh, mais tout sera fini dans quelques semaines, non ? interrogea Daniel. Les difficultés ne vont tout de même pas toucher Paris ?
[…]
« Je ne vous en dirai guère davantage mais je pense que tout voyage sur le continent est exclu dans un avenir prévisible. » (p. 163)

Mon avis : N’ayant toujours pas lu La Dernière Conquête du Major Pettigrew, L’Été avant la guerre est le premier roman de Helen Simonson que je découvre. Et autant vous dire que je suis tombée en amour pour sa plume.
En parfaite amatrice de roman historique, L’Été avant la guerre nous plonge dans l’Angleterre du début du XXe siècle, quelques semaines avant que la Première Guerre Mondiale ne se déclenche et ne fasse basculer le destin l’Europe, jusqu’au Royaume-Uni qui ne fut pas épargné.
Par le biais du personnage de Beatrice Nash, on découvre peu à peu cette petite ville de Rye dans le Sussex (où a grandi Helen Simonson elle-même), et ses habitants.
Je ne peux m’empêcher de comparer L’Été avant la guerre à la série TV Downton Abbey, car outre l’épisode de la Première Guerre Mondiale et ses conséquences sur la famille, l’ambiance y est également très similaire, et certaines situations y font parfois référence, les amateurs y trouveront les clins d’oeil.

« Agatha n’empruntait ce passage que de très bonne heure et jamais elle ne se sentait plus chez elle dans sa propre demeure que lorsqu’elle glissait la tête par la porte de la cuisine pour demander à la cuisinière une tasse de thé de la grosse théière brune tenue au chaud toute la journée pour le personnel. Pendant un bref instant, dans la cuisine carrelée de noir et blanc, avec ses hautes fenêtres ensoleillées et son fourneau à gaz flambant neuf, rien ne les obligeait à être patronne et domestique, régnant sur des domaines distincts de part et d’autre d’une porte matelassée. Elles pouvaient se retrouver comme deux femmes, levées avant le reste de la maisonnée et ayant grand besoin de leur première tasse de thé de la journée. » (p. 44)

« « Lady Emily au téléphone ? » s’étonna Agatha qui n’ignorait pas que l’épouse du colonel Wheaton trouvait cet instrument d’une vulgarité insupportable.
Elle en avait fait installer un, mais l’avait fourré dans la bibliothèque de son mari, caché dans un coffre de bois, si bien que les appels demeuraient souvent sans réponse car personne n’entendait la sonnerie. » (p. 258)

L'été avant la guerre insta waterL’Été avant la guerre est un roman d’impressions, où le lecteur doit se laisser porter par la plume de l’auteur et se laisser dépayser au fil des pages. Dans la description des paysages de cette petite bourgade et de ses cottages typiquement anglais, j’y voyais également certaines scènes de Miss Marple et notamment des adaptations télévisées de ses enquêtes d’après Agatha Christie.
Petit à petit, la guerre et son flot de réfugiés frappent aux portes de l’Angleterre, mais les habitants de la bonne société de Rye font contre mauvaise fortune bon coeur, trouvant toujours moyen de tirer profit de la situation. Certaines sont d’ailleurs tout à fait cocasses, d’un humour parfaitement britannique.

« – Nous avions demandé qu’on nous envoie surtout des enfants, mais d’après mon mari, les responsables se sont montrés franchement désagréables sur ce point », se plaignait Mme Fothergill. Elle repéra alors Hugh.
« Monsieur Grange, vous y étiez, vous. N’était-il vraiment pas possible d’avoir des enfants ?
– Nous en avons obtenu un ou deux, répondit Hugh. Mais comme vous pouvez le voir, ils sont venus accompagnés de parents et de grands-parents, qu’ils n’avaient aucune envie de quitter.
– On aurait également pu souhaiter des personnes plus distinguées », reprit Mme Fothergill. Elle fronça les sourcils en voyant un homme boire bruyamment une tasse de thé qu’il tenait à deux mains, et baissa la voix.
« Bien sûr, nous aiderons tous ceux qui sont dans le besoin, mais il est absolument impensable de demander à nos dames d’accueillir sous leur propre toit d’authentiques paysans, aussi pittoresques que puissent être leurs sabots de bois. » (p. 214-215)

Autant dire que le détail de l’arrivée des réfugiés belges en Angleterre résonne tout particulièrement de nos jours avec la crise des réfugiés que connait à nouveau l’Europe, et les réactions contrastées qu’elle provoque.
L’Été avant la guerre nous fait donc découvrir le quotidien charmant d’une petite ville anglaise au début du XXe siècle, et les méandres de sa bonne société, avec ses préjugés et ses ragots. Au travers de cette peinture régionale, Helen Simonson dresse le portrait de la société anglaise de cette époque, des bouleversements technologiques qu’elle connaît, mais aussi et surtout de la façon dont l’annonce de la guerre contre l’Allemagne fut reçue durant les premiers mois, et comment la situation se détériora progressivement, laissant des plaies béantes et à vif en n’épargnant aucun foyer, parmi tous ces gens qui se sentaient initialement si peu concernés.
Et pour achever cette chronique, si celle-ci ne vous a toujours pas convaincu de dévorer ce roman, voici l’un des courts extraits qui raviront tous les amoureux des livres que nous sommes, et qui trouveront dans le personnage de Beatrice Nash une véritable héroïne.

« Ses cartons et ses caisses d’ouvrages furent empilés à côté, et Beatrice dut réprimer un frisson d’angoisse à l’idée de devoir vivre, pour la première fois, dans un lieu dépourvu de la moindre étagère à livres. » (p. 68)

« Pour Béatrice, voir s’ouvrir la porte d’entrée de M. Tilligham était voir s’ouvrir un temple. […] elle sentait déjà l’odeur des livres, qui dominait la fragrance des meubles cirés et le parfum de gâteaux frais émanant d’une cuisine invisible. Des livres à reliure de cuir, de vieux livres aux pages jaunies, des livres neufs dégageant l’odeur pénétrante de l’encre d’imprimerie et la promesse de pages crissantes, attendant encore le coupe-papier. Brochures et livrets de colportage dans des cartons, papier vierge tout prêt à accueillir la plume ou à être glissé dans une machine à écrire. Elle se trouvait en terrain familier et sentait s’éveiller l’infime espoir, encore vacillant, d’être la bienvenue dans ce vestibule carrelé, dans ces salons à haut plafond. M. Tillingham l’inviterait-il vraiment à faire usage de sa bibliothèque ? » (p. 233)

Ma note : 

FiveStars1

Merci aux éditions Nil (Robert Laffont) pour m’avoir permis de lire ce livre mais également de rencontrer et interviewer l’auteur à Londres (l’interview arrivera bientôt sur le blog et la chaîne BookTube).

(4) Comments

  1. Un roman qui me tente beaucoup ! 🙂

    1. Il est magnifique !

  2. Tu as mis le temps mais ta chronique en vaut la peine !
    Pas un coup de coeur pour moi mais de belles longues heures de lecture, c’est certain !

    1. Mieux vaut tard que jamais !

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