Arrêtez-moi là de Iain Levison

Wet Eye GlassesIain Levison, Arrêtez-moi là, éd. Liana Levi, 1er mars 2012

(Titre original : The Cab Driver)

Un chauffeur de taxi de la ville américaine de Dallas est accusé d’avoir enlevé et tué la fille d’une cliente qu’il a transporté la veille. Pris dans l’enfer du système judiciaire, son quotidien bascule dans l’horreur.

En bref : Jeff Sutton est un chauffeur de taxi blanc de 35 ans. Sa couleur de peau a une importance car, dans sa profession, comme il le fait remarquer lui-même, ce détail surprend toujours ses clients lorsqu’ils montent dans sa voiture. Un après-midi comme un autre dans la ville de Dallas au Texas, Jeff embarque une femme aisée à l’aéroport et la raccompagne chez elle. Arrivés à destination, elle n’a pas suffisamment d’argent sur elle et l’invite à entrer afin de monter chercher quelques billets. Pour patienter, Jeff examine les fenêtres de la salle de séjour qui lui rappellent celles qu’il posait quand il travaillait chez un vitrier avant de devenir chauffeur de taxi.
Une fois la course encaissée, Jeff reprend la route et en chemin vers la station de taxi, il croise deux étudiantes très éméchées qui rentrent chez elles en pleine nuit. Il propose de les raccompagner gratuitement car leur résidence est sur son chemin. L’une des deux jeunes femmes vomit dans son taxi, Jeff est donc obligé de nettoyer son véhicule une fois la course terminée.
Le lendemain, alors qu’il s’apprête à quitter son appartement pour rejoindre un ami et boire une bière, la police frappe à sa porte. Dès les premières minutes, les agents se montrent froids et peu engageants. Ils l’arrêtent sans lui en expliquer le motif. Une fois arrivés au poste, on lui signifie qu’une fillette a été enlevée. Jeff ne comprend pas ce qu’il a à voir avec cette affaire. On a retrouvé ses empreintes sur le montant de la fenêtre du domicile de l’enfant. Dès lors, Jeff prend la mesure de l’horrible spirale dans laquelle il est entrainé. Un avocat lui est assigné, mais celui-ci ne semble pas se soucier de son cas. La seule personne censée croire en lui est persuadée de sa culpabilité. Il est envoyé en prison, dans le couloir de la mort pour le séparer des autres détenus et assurer sa sécurité en attendant son procès. Jeff Sutton est innocent, mais sans argent, ses chances de le prouver sont bien minces et sa vie est sur le point d’être détruite à tout jamais.

Mon avis : Arrêtez-moi là est un court roman que je pensais lire très rapidement. Grossière erreur, tant les faits sont poignants, ma lecture était entrecoupée de pauses pour reprendre mes esprits et mon souffle. La gravité du sujet abordé par Iain Levison, inspiré d’une histoire vraie, le cas d’un homme ordinaire pris dans les rouages de la machine judiciaire américaine, fait d’Arrêtez-moi là un roman puissant, écrit à la première personne du point de vue de Jeff, à la manière d’un journal intime. Cette perspective n’est pas anodine et nous immisce au plus près du personnage, on vit le quotidien de Jeff comme si c’était le nôtre, on ressent les injustices de façon encore plus frustrante et dramatique. Jeff est pris dans un cercle infernal qui pourrait presque le faire douter de sa santé mentale. Il remet tout en question, ne sait plus à qui faire confiance, et comment il parviendra à se sortir de cette situation, s’il y arrive un jour.

« Malheureusement, il y a des gens qui pourraient faire ce dont je suis accusé et qui, une fois arrêtés, auraient probablement la même attitude que moi : nier. Comment un innocent est-il censé se distinguer de ceux qui cherchent seulement à être perçus comme innocents ? Tout coupable d’un tel crime va vouloir imiter mon comportement parce que je suis réellement innocent, alors comment me distinguer de mes imitateurs ? » (p. 125)

L’intérêt d’Arrêtez-moi là est bien évidemment, la mise en lumière de la réalité du système judiciaire américain, bien loin de l’image lisse et parfaite que les médias, le cinéma et la télévision le retranscrivent.

« Je veux voir la vérité. Je veux voir un épisode des Experts où deux membres de la scientifique trouvent sur la scène du crime un ADN qui ne correspond pas à leur théorie sur l’affaire, alors ils le jettent et maintiennent leur théorie. Je veux voir New York police judiciaire où les inspecteurs sont épuisés et stressés et arrêtent simplement le premier Noir venu ayant un casier judiciaire, ou n’importe quel suspect qui ne peut pas s’offrir un bon avocat. Je veux voir un Esprits criminels où, comme personne ne réussit à comprendre un foutu bordel, on défonce quelques portes et on fouille les gens dans la rue. Je veux voir un New York unité spéciale où un suspect irrespectueux est sodomisé avec un manche à balai, un Cops où quelqu’un se fait tirer dessus pour avoir discuté une contravention, ou une de ces innombrables télé-réalités à propos des services de police de petites villes où tous les employés sont des brutes paumées et primaires. » (p. 126)

Arrêtez-moi là est une critique ouverte du système judiciaire américain et de l’un de ses fondements : l’absence de présomption d’innocence dès l’arrestation d’un suspect et jusqu’à l’annonce du verdict des jurés.

« Tu n’es pas innocent jusqu’à ce qu’il soit prouvé que tu es coupable, ça marche dans l’autre sens. Il faut prouver que tu es innocent. S’il y a un doute sur ton innocence, qu’est ce que les jurés ont à gagner en te laissant libre ? Ce n’est pas un problème pour eux si tu passes le reste de ta vie en prison pour quelque chose que tu n’as pas fait. Quand ils retournent à leur poste dans un bureau quelconque, il leur suffit d’être à peu près sûrs d’avoir éloigné un mauvais sujet. » (p.101-102)

A l’issue de la lecture de ce livre, on est profondément chamboulés par cette réalité cruelle qui continue de condamner chaque jour un nombre trop élevé d’innocents à des peines de prison, voire à la peine de mort. Falsifications de preuves, manipulations de témoins, sévices moraux et physiques, non-respect des droits fondamentaux qui sont les bases de la déclaration des droits de l’Homme… Arrêtez-moi là est un réel manifeste à l’encontre de ces dérives qui ont toujours lieu à ce jour.

« Ils n’ont jamais vraiment cherché à arrêter le véritable coupable… ils voulaient quelqu’un susceptible de l’être et qui n’avait ni les ressources ni la famille pour faire des histoires. Quelqu’un pour empêcher les médias, les parents de la victime et les résidents de Westboro de leur reprocher de ne pas avoir fait leur travail. Ç’aurait été super d’arrêter le vrai coupable, mais ça n’était pas une nécessité. Quand une fillette de douze ans est enlevée à sa riche famille, vous ne pouvez pas ne pas exhiber quelqu’un. » (p. 163)

Alors que l’actualité dénonce encore et toujours des bavures policières, notamment à l’encontre des Noirs américains, Iain Levison nous prouve qu’il n’est pas nécessaire d’avoir la mauvaise couleur de peau pour être pris comme bouc émissaire par une institution plus soucieuse de sa réputation que de la paix et de la justice parmi ses citoyens.
Arrêtez-moi là a été adapté au cinéma en France. Le film est actuellement en salles. Je suis très curieuse de voir comment cette histoire a été transposée au système policier et judiciaire français. En voici la bande-annonce :

Ma note :

Fourstars1

Merci aux éditions Liana Levi et à l’agence Cartel pour m’avoir permis de lire ce livre.

(2) Comments

  1. J’étais sûre qu’il allait te plaire!

    1. Oui c’est un livre très fort et poignant.

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