L’Atelier des poisons, de Sylvie Gibert

L'Atelier des poisonsSylvie Gibert, L’Atelier des poisons, éd. Plon, 17 mars 2016

Zélie Murineau est une artiste peintre, chose assez rare dans le Paris de la fin du XIXe siècle. La condition féminine est un fardeau, et les révolutions sociales et technologiques esquissent pourtant un nouveau monde qui s’entrouvre sous les yeux de ces jeunes femmes érudites. 

En bref : Zélie Murineau a intégré l’académie Julian, le premier atelier parisien à ouvrir ses portes aux femmes pour qu’elles apprennent l’art de la peinture. Celles-ci ne sont pas nombreuses, mais déterminées à percer dans un monde bien trop masculin, et qui le demeurera encore longtemps.
Alors qu’elle prépare la toile qu’elle soumettra au fameux Salon et qui serait peut-être exposée aux côtés des oeuvres des maîtres de la peinture classique du moment, Zélie reçoit la visite d’Alexandre d’Arbourg, le commissaire du quartier du Palais-Royal. Ce dernier lui demande de l’aider à résoudre une mystérieuse affaire d’empoisonnement. Les deux protagonistes se lancent donc dans une enquête dont les ramifications sont multiples et qui débouchera sur bien d’autres énigmes.

Mon avis : J’ai été agréablement surprise par L’Atelier des poisons. Ce roman historique que nous propose Sylvie Gibert, nous fait voyager dans les milieux artistiques et culturels parisiens de la fin du XIXe siècle, en multipliant les allusions aux célèbres figures de l’élite intellectuelle de l’époque, ce qui permet d’ancrer le récit dans ce cadre si particulier et renforce la crédibilité de l’histoire.

« […] Zélie essayant, tant bien que mal, de dissimuler son enthousiasme. Dormir dans cette auberge de campagne lui semblait digne des romans de George Sand, qu’elle avait dévorés quand elle était plus jeune. » (p. 133)

« – Il prétend ne jamais faire de brouillon… Il n’aurait donc pas menti…
– Le connaissez-vous ?
– Je le rencontre souvent, quand je vais à Bezon, l’été. Guy de Maupassant est un homme sympathique et un canotier émérite.
– Avez-vous déjà lu ce qu’il écrit ?
– Il n’a publié que quelques contes, dans des revues, mais je ne les ai pas lus. Je ne connais de lui qu’une courte pièce en vers. Elle a été présentée au Troisième Théâtre-Français, au mois de février dernier. » (p. 150)

Au cours de leurs enquêtes, les pérégrinations de Zélie et du commissaire les amènent à traverser des quartiers fameux de la capitale, dont l’architecture en plein bouleversement nous permet d’imaginer à quoi pouvaient ressembler ces célèbres panoramas parisiens que nous connaissons aujourd’hui.

« De sa main gantée, Zélie essuya la buée déposée sur la vitre. Elle reconnut l’avenue des Champs-Élysées. Dans l’aube naissante, les luxueux immeubles de pierre taillée commençaient à renvoyer une lueur bleutée. Puis le fiacre vira autour de la masse titanesque de l’arc de triomphe de l’Étoile pour s’engager sur l’avenue de la Grande-Armée. Comme la denture d’un géant devenu trop vieux, l’alignement des façades était troué par endroits de grandes brèches. En dix ans, la prestigieuse avenue n’avait pas encore fini de panser les plaies laissées par le siège de Paris. » (p.115)

L’Atelier des poisons est également un joli cours d’histoire de l’art et plus particulièrement de la peinture. Avec de multiples références aux oeuvres phares qui influencèrent l’art de l’époque, mais également des allusions aux nouveaux courants de peinture qui commencent à éclore en ces années 1880 et la façon dont ils étaient perçus par leurs contemporains, L’Atelier des poisons nous permet de mieux situer ce récit parmi les grands maîtres de l’époque.

« Je suis désolée de vous décevoir, mais, même si je le voulais, l’impressionnisme est une fantaisie que je ne pourrait pas me permettre. Je dois penser à assurer mon avenir. Ai-je vraiment le choix ? Il faut que je puisse vivre de ma peinture et… ces gens-là… Comment vous l’expliquer ?
Le commissaire émit un petit rire désabusé, avant de concéder :
– Vous avez raison, « ces gens-là », comme vous dites, je les connais bien. La plupart d’entre eux sont mes amis et je suis bien obligé de confirmer qu’ils ne vivent pas de leur peinture, ou si mal… Mais la roue tourne… Vous êtes encore trop jeune pour savoir à quelle vitesse les goûts et les modes changent. Ce qui avait de la valeur hier en a beaucoup moins aujourd’hui, et vice versa… Le jour où les Bouguereau et les Cabanel seront remisés dans les greniers ou dans les réserves obscures des musées, alors vous vous souviendrez de ce que vous disait un vieux commissaire… » (p. 68)

N’oublions pas, pour conclure, le sujet principal de ce roman : la place de la femme dans la société de l’époque, à la fin du XIXe siècle. Après un énorme travail de recherches sur ces jeunes aspirantes peintres de l’académie Julian, dont la plupart des personnages ont vraiment existé, Sylvie Gibert nous dresse un portrait de la condition féminine et plus particulièrement dans le monde de l’art, qui n’est pas reluisant. Et comment expliquer, encore aujourd’hui, que presque aucune de ces artistes talentueuses ne soit parvenue à se faire connaitre dans les galeries et autres musées actuels ?

« Mon fils m’a dit qu’il avait vu l’un de vos tableaux et que, pour une femme, vous semblez avoir un certain talent…
La mâchoire de Zélie se contracta. Pourquoi les compliments adressés aux femmes artistes étaient-ils toujours assortis de cette restriction ?
Bien sûr, au début de son apprentissage, elle n’y avait pas attaché d’importance. Combien de fois Julian avait dit, à l’une ou à l’autre de ses élèves : « C’est si bien peint qu’on pourrait croire que c’est fait par un homme » ? Et chaque fois, celle à qui était adressé cet éloge rougissait de plaisir. Comment en aurait-il été autrement ? Il ne serait venu à personne l’idée de contester que les hommes étaient naturellement plus doués en toute chose, y compris en art. » (p. 51)

D’autres sujets de société sont également abordés sans jamais être clairement nommés, comme le cas de l’homosexualité, encore considérée comme un crime à cette époque, même dans les plus hautes sphères de la société.
J’ai donc particulièrement apprécié ma lecture de L’Atelier des poisons que je vous recommande chaudement.
J’ai eu la chance de pouvoir rencontrer Sylvie Gibert il y a quelques mois, et c’est avec grand plaisir qu’elle nous a annoncé réfléchir à un second opus des aventures de Zélie Murineau !

Ma note :

Fourstars1

Merci aux éditions Plon pour m’avoir permis de lire ce livre.

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