Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie

D'après une histoire vraieDelphine de Vigan, D’après une histoire vraie, éd. JC Lattès, 26 août 2015

Quatre ans après la parution de son dernier roman, Delphine de Vigan, avec D’après une histoire vraie, nous explique le pourquoi de son absence. Une rencontre fortuite, mais fatale pour son écriture… et sa santé mentale.

En bref : D’après une histoire vraie retrace la vie de Delphine de Vigan, qui commence à appréhender, avec beaucoup de mal comme elle nous le confie, le succès de son dernier best-seller, quatre ans auparavant. Elle enchaîne les rencontres provinciales, les longues dédicaces et notamment le mastodonte qu’est le Salon du Livre de Paris. Elle a conscience qu’une fois écrit, un livre n’appartient plus tout à fait à son auteur, mais devient propriété de chaque personne qui le lit. Chacun l’interprète à sa façon, tisse des liens étroits entre le récit et son expérience personnelle, provoque des émotions plus ou moins intenses, qui se traduisent par des retours puissants et forts lorsqu’elle va à la rencontre de tous ces lecteurs avides de partager leurs expériences de lecture avec elle. Ca, elle ne l’anticipait pas.

« Ainsi pouvais-je écouter, parler, comprendre ce qui se tissait à l’endroit du livre, ce va-et-vient opéré entre le lecteur et le texte, le livre renvoyant le lecteur, presque toujours – et pour une raison que je ne sais pas expliquer -, à sa propre histoire. Le livre était une sorte de miroir, dont la profondeur de champ et les contours ne m’appartenaient plus. » (p. 18)

Un succès pareil, Delphine de Vigan n’y était pas tout à fait préparée. Elle n’aime pas être dans la lumière, focaliser tous les regards, et les signatures, les échanges parfois émouvants et durs, avec ses lecteurs, l’épuisent.

« Je ne pouvais pas lui dire Madame, je suis désolée, je n’y arrive plus, je suis fatiguée, je n’ai pas l’étoffe, la carrure, voilà tout, je sais bien que d’autres peuvent tenir des heures sans rien boire ni manger, jusqu’à ce que tout le monde soit passé, ait obtenu satisfaction, de vrais chameaux, des athlètes certainement, mais moi non, pas aujourd’hui, je n’en peux plus d’écrire mon nom, mon nom est une imposture, une mystification, croyez-moi, mon nom sur ce livre n’a pas plus de valeur qu’une merde de pigeon qui serait tombée par malchance sur la page de garde. » (p. 20)

Elle est au bout du rouleau. Physiquement et psychologiquement. Le fil se tend et n’est pas loin du craquage. Et c’est dans ces conditions que le danger se présente, sournois, au détour d’une soirée banale, une rencontre qui ne sera pas sans conséquences.

« La vérité est qu’au moment où j’aurais dû me remettre à écrire, selon un cycle qui alterne des périodes de latence, d’incubation, et des périodes de rédaction à proprement parler – cycle quasi chrono-biologique que j’expérimentais depuis plus de dix ans -, au moment donc où je m’apprêtais à commencer le livre pour lequel j’avais pris un certain nombre de notes et collecté une abondante documentation, j’ai rencontré L.

Aujourd’hui, je sais que L. est la seule et unique raison de mon impuissance. Et que les deux années où nous avons été liées ont failli me faire taire à jamais. » (p. 9)

Delphine rencontre une mystérieuse femme dénommée L. Petit à petit, cette personne s’insinue dans sa vie, lui montre qu’elle est la seule réellement présente pour elle, tente de comprendre tous les paramètres du quotidien de Delphine de Vigan, ses relations et notamment les auteurs célèbres qui l’entourent, son travail d’écriture, sa famille et ses enfants même. Elle semble avoir réponse à tout. Et elle phagocyte bientôt toute son existence jusqu’à la contrôler entièrement, la détruire.

« Je devais me rendre compte assez vite que L. avait un sens inouï de l’Autre, un don pour trouver les mots justes, dire à chacun ce qu’il avait besoin d’entendre. L. ne tardait jamais à poser la question la plus pertinente, où à prononcer la remarque qui montrait à son interlocuteur qu’elle seule était en mesure de le comprendre et de le réconforter. L. savait non seulement identifier au premier coup d’oeil l’origine du désarroi, mais surtout cerner cette faille, si enfouie soit-elle, que chacun de nous abrite. » (p. 39)

Très rapidement, L. devient un élément omniprésent de la vie de Delphine, elle commence à s’intéresser à sa prose, à ses techniques d’écriture, ses futurs projets. Et là commence le drame. Delphine s’ouvre à elle, se confie, sans voir le danger. Viennent les insinuations douteuses, les mises en garde sur son idée de futur livre, ses leçons sur ce qui est intéressant pour le lecteur et ce qui est totalement inutile. Sans s’en rendre compte, Delphine absorbe ses remises en cause, et son art s’en voit directement affecté.

« En réalité, je tergiversais, m’éparpillais, repoussais de jour en jour et de semaine en semaine le moment où il me faudrait admettre que quelque chose était cassé, perdu, ne fonctionnait plus. » (p. 154)

Mon avis : D’après une histoire vraie est véritable roman coup de poing. Delphine de Vigan nous plonge sans état d’âme dans son quotidien le plus privé, s’ouvre à nous en nous livrant ses peurs les plus profondes, remontant parfois à son enfance, ses doutes et ses interrogations, ses faiblesses, comme pour mieux comprendre elle-même, à la façon d’une introspection, pourquoi elle a autorisé une personne si perverse à s’enraciner dans sa vie.
D’après une histoire vraie traite de la question des pervers narcissiques, des manipulateurs, et l’auteur nous fait bien comprendre que nul n’est à l’abri de faire une rencontre de ce type un jour. Ces personnes psychologiquement malades ont un don inné pour repérer le plus faible dans un groupe. Ils identifient la faille et s’y engouffrent, comme Delphine de Vigan le dit si bien. Après une phase de séduction qui porte la personne visée en haute estime, la fait se sentir en sécurité, importante, lui dit qu’elle ne devrait pas se dévaloriser de la sorte, vient la deuxième étape, celle de la manipulation malsaine à proprement parler. Le doute s’insinue en vous, même dans des aspects de votre vie où vous étiez auparavant sûr d’exceller. Puis la destruction à proprement parler. Le manipulateur est toujours là où vous ne l’attendez pas, comme un espion, parfois en dormance, il se réveille au moment où vous vous apprêtez à pleinement vous épanouir, pour détruire cet envol. C’est ainsi que L. s’est subtilement intéressée aux futurs projets d’écriture de Delphine, et une fois ses idées sur la table, les a démontées une par une jusqu’à ne plus lui permettre d’en produire aucune.

« L’écriture doit être une recherche de vérité, sinon elle n’est rien. Si à travers l’écriture tu ne cherches pas à te connaître, à fouiller ce qui t’habite, ce qui te constitue, à rouvrir tes blessures, à gratter, à creuser avec les mains, si tu ne mets pas en question ta personne, ton origine, ton milieu, cela n’a pas de sens. Il n’y a d’écriture que l’écriture de soi. Le reste ne compte pas. […] Si c’est pour recommencer à écrire des petites histoires de sans-abri ou de cadres supérieurs déprimés, tu aurais mieux fait de rester dans ta boîte de marketing. » (p. 105-106)

D’après une histoire vraie est également une grande interrogation sur la part de réel, du Vrai, dans l’écriture et les romans d’aujourd’hui. Qu’est ce que le lecteur aime vraiment ? Un roman doit-il être forcément ancré dans la réalité pour présenter un intérêt ? Les fictions détachées de tout ancrage dans le réel ont-elles autant d’impact ? Ont-elles autant de mérite ?

« J’étais bien placée pour savoir à quel point les gens, ou tout au moins certains lecteurs, aimaient le Vrai, cherchaient à le démêler de la fable, le traquaient de livre en livre. Combien d’entre eux avaient voulu savoir, dans mes précédents romans, ce qui relevait de l’autobiographie ? La part du vécu. Combien d’entre eux m’avaient demandé si j’avais vraiment vécu dans la rue, si j’avais connu une passion fantasque pour un animateur de télévision égocentrique et affabulateur, si j’avais été victime de harcèlement moral ? Combien d’entre eux m’avaient demandé après la lecture de mon dernier roman : « Est ce que tout est vrai ? » » (p. 104)

D’après une histoire vraie, de Delphine de Vigan, est donc un roman puissant et poignant, qui ne se lit pas sans conséquences. J’ai parfois dû faire quelques pauses durant ma lecture tant ce roman était dérangeant par moment. La violence de cette manipulation, de cette destruction minutieuse et organisée, de cette bombe à retardement qui n’a qu’un seul but, exploser et détruire un auteur de l’intérieur, ne vous laissera pas indifférent. 
D’après une histoire vraie est un cri d’alerte sur le danger que représentent ces personnes manipulatrices, et desquelles nul n’est vraiment à l’abri. Ce roman sera certainement l’un ouvrages les plus marquants de cette rentrée littéraire 2015.

Ma note : 

Fourstars1

Je remercie les éditions JC Lattès pour m’avoir permis de lire ce roman.

(7) Comments

  1. Très bel article, tu nous donnes vraiment envie de le lire ! Moi qui avait justement adorée Rien ne s’oppose à la nuit et quelques autres de ses romans que j’ai pu lire, j’ai très envie de plonger dans celui-ci !

    1. C’est vrai qu’il est vraiment très accrocheur et il nous plonge dans une ambiance très tendue tout du long.

  2. Wow, quel beau billet, qui prend le temps de bien tout expliquer et nuancer, un vrai régal de te lire alors que je viens de refermer le roman et d’écrire mon billet. Je me permets de faire un lien vers ta chronique à la fin de mon billet 🙂
    Au plaisir de te lire,
    Cajou

  3. Bonjour,

    J’aime beaucoup tes vidéos et ton blog mais je trouve dommage que dans ta chronique de ce roman à aucun moment tu ne poses la question « est-ce vraiment arrivé à l’auteur? ». On a l’impression que tu pars du principe que tout ce qui est arrivé dans ce roman est vrai. J’ai lu ce roman et c’est du coup une grande question. A quel point Delphine de Vigan nous a raconté sa vie? Le titre « D’après une histoire vraie » nous amène à nous interroger sur la part de vérité de ce roman et la part de fiction..

  4. J’aime tes extraits. J’ai prévu de le lire très prochainement car j’adore les livres de cette auteure ^_^

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